Un parcours en Inde
Je reviens d’un voyage dans le Sud de l’Inde et en tant qu’amie des animaux, il me tient à cœur de partager mon expérience avec vous. Dans la région du Kerala, à la nature luxuriante, voici la situation des animaux, décrite à travers certaines étapes de mon périple.
Varkala
Varkala est notre première étape. Loin de correspondre à l’image qu’un touriste occidental peut avoir d’un petit village rural indien, Varkala est une station balnéaire, où les Indiens ont construit de nombreux hôtels, certains avec piscine. Varkala est parsemée de centres ayurvédiques et de salles de yoga. La plage est décorée d’une enfilade de boutiques qui proposent des produits recherchés par les touristes, tels que saaris, bijoux, objets en bois, vêtements de plage à la mode occidentale, agences de voyage et de change. Grâce aux revenus générés par le tourisme et la pêche, le village prospère.
Nous sommes installés à table pour déjeuner quand le guide français nous met en garde contre tout contact avec les animaux. « Je vous préviens, il y a toujours la rage en Inde, alors les animaux vous ne vous en approchez pas. J’ai un copain qui est mort de la rage et je vous dis c’est pas drôle. Les animaux, vous les laissez. »
L’après-midi, en me promenant dans le village côtier de Varkala, je passe près de la cour d’un hôtel où est assis un petit chat d’une grande beauté, au pelage fauve avec des yeux bleus clairs. Difficile de dire s’il s’agit d’un grand chaton ou d’un jeune adulte, car il est petit et très fin. Il pleure. J’avance, ses miaulements me transpercent le cœur. On l’aurait cru perdu et désespéré. Cherchait-il des touristes qui avaient quitté le village ? N’avait-il rien mangé depuis des jours ? Je me suis retournée, j’ai regardé : dans la cour les gens passent, une mère indienne remonte la rue avec sa fille, mais tout le monde paraît insensible aux pleurs de ce chat. Ne pouvant continuer mon chemin, j’entre dans une épicerie en face de l’hôtel pour lui acheter une boîte de thon. Malheureusement, dans la confusion après le voyage, j’avais oublié de ranger mon porte-monnaie dans le sac que je tenais. Quand je suis sortie du magasin, le chat n’était plus là. Je suis retournée dans cette rue plus tard dans la soirée, mais je ne l’ai plus revu.
Le soir, dîner en bord de plage. Au-delà des bruits de la conversation à table, je distingue ceux d’un chat qui pleure, sur la colline. Ses pleurs étaient les mêmes que ceux du petit chat de l’hôtel. Je le signale aux autres voyageurs, qui eux aussi prêtent attention aux miaulements plaintifs. Hors de l’espace éclairé par les restaurants, il faisait nuit noire et il ne m’aurait pas été possible de partir à la recherche de l’animal en souffrance. Une voyageuse a tenu à me rassurer en supposant que l’animal avait simplement était enfermé quelque part, mais je savais que la situation sur ce territoire dépassait le simple enfermement d’un animal, attitude trop domestique en comparaison de l’ignorance que j’avais observée plus tôt dans la journée.
Le guide évoque alors avec dédain les touristes qui nourrissent les animaux le temps de leur séjour.
« Vous verrez, quand nous serons à Cochin, il y a des chiens qui suivent les touristes pendant des kilomètres. Ça c’est parce que les gens les prennent pendant leurs vacances comme animaux de compagnie, puis ils repartent chez eux et le chien se trouve livré à lui-même.
- – C’est horrible, puis-je commenter, en pensant à l’abandon ressenti par l’animal.
- – Alors, poursuit-il, ces animaux sont dépendants des touristes et ils attendent qu’on leur donne à manger.
- – Mais c’est incroyable, lui fis-je remarquer, que le gouvernement ne fasse rien. C’est une question d’environnement et de santé publique pour le pays. »
Le guide ne trouve rien à répondre. La voyageuse, qui s’était voulue rassurante un peu plus tôt, me répond elle : « Mais il y a tellement à faire pour la population. Et comme il n’arrive pas à s’occuper des gens, ils ne peuvent pas s’occuper des animaux. »
Puis, on remarque un petit chat, ressemblant fortement à celui aperçu dans l’après-midi, qui marche autour de la table. Il s’assoit non loin de ma chaise et reste là, sans rien demander à personne, se contentant simplement de notre proximité et de respirer les odeurs de nourriture. Je saisis l’occasion pour couper une partie du poisson en croquette dans mon assiette et la lui lancer. Le guide s’exclame : « Qu’est-ce que tu lui as donné ?! » « Du poisson. », dis-je avec enthousiasme.
Les autres voyageurs commentent le fait que la nourriture épicée n’est pas la plus appropriée pour le chat. Il n’a selon eux pas l’air d’avoir très faim. Mon geste est perçu comme inutile, car le chat renifle longtemps le morceau. Puis, il le dévore, se régalant. Une fois terminé, il passe un moment allongé près de la table, avant de repartir dans la nature, aussi discrètement qu’il était venu. Beaucoup de chiens passent, ils paraissent nourris et portent des colliers. Je pense, au moins, les chiens sont domestiqués ici. Je devais découvrir plus tard que ce collier n’était pas un indice de domestication.
J’entends ensuite les pleurs qui continuent. Etait-ce l’autre chat, qui cherchait toujours un secours ? Cette nuit-là, je ne parviens pas à trouver le sommeil, en pensant à la misère animale qui sévit sur cette terre à l’aspect paradisiaque, avec sa plage bordée de palmiers et de cocotiers.
Le lendemain matin, avant de prendre le train pour Cochin, je suis retournée à la recherche du petit chat de l’hôtel, souhaitant le nourrir avant de quitter le village. Comme la veille, ma promenade s’est avérée sans résultat. Seules des mangoustes errent dans les rues. L’une d’entre elles s’arrête pour m’observer. Le poil hirsute, les yeux rouges, elle me fixe farouchement, prête à attaquer si nécessaire, avant d’aller faire les poubelles des rues avec sa comparse. Je me dit qu’avec des créatures pareilles, les chats ne peuvent même pas survivre de la chasse. Et je me suis éloignée de Varkala, pour ne jamais y revenir.
Cochin
Cette ville m’apaise, non seulement de par son aspect colonial et multiculturel, mais parce qu’elle m’apparaît beaucoup plus avancée en matière de respect de la vie animale. C’est là où je vis la seule boutique consacrée aux animaux, de tout mon séjour. Les Indiens nourrissent les chats, dans les rues, près des zones de pêche. Devant les cabanes qui servent de boutiques et d’entrepôts près de l’eau, un homme présente à un chat des croquettes sur une grande assiette cartonnée, avec un large sourire. J’en suis étonnée et me mets à penser que les animaux sont peut-être mieux traités dans certains endroits de ce vaste pays.
Le lendemain, nous nous promenons hors du centre et du Fort, pour visiter les villages de l’arrière-pays. Et là, un chaton roux et blanc, mort ou près de l’être, gît sur un trottoir juste à côté d’une boutique dont les propriétaires occupent la devanture, avec discussions et larges sourires. « Ne regarde pas », me dit la voyageuse sensible à la situation, « sinon il ne faut pas voyager dans ces pays-là. » Sur le trottoir d’en face, la mère du chaton se promène près des poubelles, assurant sa propre survie faute de pouvoir secourir son petit. Nous suivons l’angle d’une petite rue pour arriver sur une placette, où habitants et animaux essaiment. Hommes et femmes œuvrent à l’artisanat, des enfants jouent et des animaux soigneusement couverts ou attachés restent près des bâtiments. Oui, les chèvres qui produisent du lait et de la viande, les poules des œufs, reçoivent gîtes et couverts. Alors que je veux photographier le cadre où nous nous trouvons, un jeune enfant au sourire insolent pointe son minois devant ma caméra. Pour lui faire plaisir, et suivie par d’autres touristes, je déplace mon objectif sur lui et son jeune frère, qui souhaite animer la scène : il tend les bras vers un chaton roux et blanc qui vit là en s’écriant : « Pussycat ! Pussycat ! » pour nous faire comprendre que le chaton doit être le personnage central de nos prises de vues. Il le ramasse gentiment mais maladroitement, faute de contact éduqué avec l’animal, et le brandit devant les caméras en le tenant sous les épaules. Le chaton se défend vigoureusement, se tord énergiquement, tant et si bien que le frère aîné ordonne au plus jeune de le libérer.
Le soir, quelqu’un signale au guide avoir vu un camion « Dog Safe » qui circule dans les rues, en soulignant l’effort des autorités qui visaient à sauver les chiens. Mais le guide abrège son propos : « Ah attention, ils viennent chercher les chiens, les chats qui ont la rage », dit-il, avec ses bras qui déblayent l’air, « et s’ils trouvent des portées des petits, ils les embarquent et hop ! ». Sur ces mots, ses yeux croisent les miens, il est conscient de l’effet qu’ils produisent sur moi. Néanmoins le guide n’est pas embarrassé de dévoiler son mépris pour la vie animale.
Cochin. Est-ce les touristes qui ont éduqué la population à soigner les animaux ? Les habitants se sont-ils formés aux pratiques occidentales en matière de protection animale, pour maintenir un flux touristique régulier, sur lequel ils comptent tant ? Cochin est le seul endroit dans le Kerala où j’ai pu observer des contacts physiques et nourriciers entre les humains et les chats.
Kovalam
Dernière étape, dernière image de l’Inde. Bel hôtel en bord de plage privée, piscine… Je cherche à explorer les alentours. E me promenant sur la place, je vois d’autres chiens, avec des colliers. Un panneau explique que ce collier certifie en fait que l’animal a été vacciné contre la rage et chaque année sa couleur change. Orange est la couleur de 2015. Les colliers sont soit noirs, soit marrons.
Je me rends dans le village de Kovalam, en haut de colline, à l’écart du bord de plage touristique. Les Indiens parlent entre eux devant les boutiques, aucun commerçant ne cherche à me servir. Leurs produits sont destinés aux habitants, les touristes ont une autre zone, avec d’autres prix. Dans une rue parallèle aux magasins, une vieille femme me fait signe de retourner vers le bord de mer ; je lui indique la direction opposée et poursuis mon chemin, malgré ses réticences. A l’ombre d’un rickshaw, cinq chats se reposent, similaires à tous ceux que j’ai pu croiser jusqu’alors. Je me promets de revenir le lendemain avec des paquets de beurre de l’hôtel.
Par devoir de conscience, je reprends le chemin du village le lendemain, sans la moindre idée des réactions qui m’attendaient. A proximité de chaque chat croisé, je pose un paquet. Le premier chat que je vois, calme quand il est allongé dans la rue, se redresse avec effroi et bondit à plusieurs mètres du paquet de beurre. A chaque tentative, la réaction de l’animal est la même : toute interaction avec l’humain est perçue comme négative. Je m’éloigne toujours, en pensant que les chats sauvages mangeront le beurre à l’abri des regards.
La population m’observe avec hostilité. Un vieillard me demandera gestuellement ce que je fais dans sa ruelle. Quand je pointe un chat, il exprime verbalement son mécontentement et remue les mains avec dédain. Je comprends que les chats sont pour lui une vermine à ignorer. La même vieille femme me fait signe de retourner vers la plage. Une jeune fille appellera son père pour lui indiquer mes actions. Elle quitte la maison bleue pour s’avancer vers le lieu où j’ai déposé le beurre pour un chat allongé près d’un égout. Un corbeau viendra s’emparer de l’aliment. La jeune fille restera là longtemps, les bras croisés en signe d’hostilité.
Puis, mes poches vides, je décide de retourner sur mes pas pour éventuellement récupérer les emballages vides. Sur le chemin du retour, à mon grand étonnement, je constate que les paquets sont partis. Les Indiens ne sont pas gênés par la présence éternelle de déchets longeant leurs habitations, aucune politique environnementale n’est établie, par contre les emballages et la nourriture laissés à l’attention des chats sont retirés immédiatement.
Un groupe d’enfants se moquent de moi et me lancent des insultes dans leur langue, avant de se cacher dans leur jardin et de fermer leur portail à mon approche. Désemparée, je retourne vers la plage, l’hôtel et la piscine, loin de la pauvreté sentimentale et animale. N’était-ce pas pour cet environnement artificiel que je payais ? Le soir, les chiens se regroupent sur la plage, là où marchent les touristes, là où ils ont quelque chance d’être nourris. Quelques chats passent à proximité des groupes de chiens, sans la moindre contrariété, espérant glaner quelques restes de nourriture.
Cette contrée de l’Inde que j’ai visitée n’est pas pauvre. Quelques personnes sont sans-abri, ou malades, tout comme en France. Cependant les habitants savent gagner leur vie. Ils cumulent parfois les activités, telles que production et vente, vente et transport, ou encore vente et hôtellerie. Le journal du mercredi 15 avril annonçait fièrement que selon le FMI (Fonds Monétaire International), la croissance de l’Inde en 2016 devrait dépasser celle de la Chine, avec un taux de 7,5 %. L’Inde se veut une République, une démocratie. Mais son économie mercantiliste est destinée à produire un bénéfice net, avec peu de réinvestissement dans d’autres secteurs. L’inde prétend accéder au rang des pays développés, mais il lui faudra comprendre que ce statut n’est pas purement économique, il doit s’accompagner de la mise en place d’une politique environnementale et sanitaire profitable à tous, dans le respect des espèces vivantes.
A mon retour en France, j’ai serré mes chats dans mes bras, en pensant à leur chance d’être nés en Europe, d’avoir trouvé un foyer où leur personnalité a pu s’épanouir, où leur valeur est reconnue. Depuis que je suis rentrée je m’étonne, chaque fois que je vois un chat, de sa taille et de sa stature, qu’il soit errant ou domestiqué. C’est l’attention que nous portons aux animaux qui les rend beaux et bien portants. Même les chats errants sont plus forts physiquement grâce à l’attitude globalement positive de la population, notamment celle qui s’investit dans la protection animale. Nous n’avons pas tous le même temps à consacrer aux animaux, certains sont des bénévoles quotidiens, d’autres agissent ponctuellement, certains soignent quelques animaux dans leur rue ou leur quartier. C’est cette attitude qui permet aux espèces de survivre et limite le développement de maladies. Les politiques environnementales et les dispositions légales en faveur des animaux doivent servir d’exemple ailleurs dans le monde, afin que tous comprennent que la civilisation n’est pas seulement synonyme de richesse financière, qu’elle vise aussi le bien-être des animaux.